lundi 25 janvier 2010

Septembre 2021


Dimanche matin très tôt, il sortit de chez lui, glissa la clé dans la serrure d’un geste machinal et s’enfila dans l’escalier de son immeuble. Il avait revêtu sa tenue la plus neutre et le pardessus beige dont ses amis disaient qu’il le faisait ressembler à un flic de troisième zone surtout lorsque, comme ce matin, il avait oublié de se raser.
Les flics justement,pourvu qu'ils ne décident pas de faire une ronde ce matin ! Il irait seul procéder à l’échange, seul  affronter les malfrats  et récupérer son bien… ou pas, en espérant que personne ne le voit  ni ne le dénonce !
Le brouillard matinal s’était dissipé, mais le temps restait maussade et le soleil absent, peu lui importait, cette journée ne serait bientôt plus qu’un mauvais souvenir. Il marchait d’un pas qui se voulait tranquille, régulant son allure pour ne pas arriver trop tôt au lieu de rendez-vous.
Sa mâchoire était crispée, ses muscles tendus, non pas par la peur  il en avait vu d’autres, mais par la tension qui l’avait envahi dès son réveil lorsqu’il avait réalisé que c’était le jour J. Il y avait pourtant pensé toute la nuit, ne réussissant à sombrer qu’au petit matin pour rêver encore de l’échange qui aurait bientôt lieu, mais au réveil il avait senti sa gorge se serrer et ses rhomboïdes se contracter rien qu’à l’idée que tout cela pourrait mal tourner.
Il tourna dans une petite ruelle qui menait directement à la place Broca, où il avait rendez-vous. Son cœur, calme jusqu’à présent, s’affola et il dut inspirer et expirer profondément pour éviter la tachycardie.
Lorsqu’il arriva au point de rendez-vous il vérifia dans sa poche qu’il avait bien ses billets, ses mains étaient moites et il salivait déjà à l’idée de récupérer son bien.
La terrasse du café n’avait pas encore été complètement nettoyée, il balaya de la main quelques feuilles victimes de l’automne (qui commençait maintenant dès le mois d’Août), et s’installa à la table la plus éloignée du bar.


Il n’attendit pas longtemps, moins d’une minute après, deux individus s’assirent à la table voisine. Il les reconnut immédiatement, ils étaient derrière lui hier soir au cinéma, c’est là qu’ils s’étaient emparés de  son dernier paquet de fraises flagada.
A la place il avait trouvé une note lui réclamant 100 euros pour échapper à la dénonciation à la brigade anti-Haribo mise en place depuis dix ans par le gouvernement, et récupérer ses douceurs (qu’on ne trouvait plus nulle part en France) .
 Il ne buvait pas ou très peu, ne fumait pas, mais peut-être aurait-il mieux fait car tout cela restait légal malgré les dangers évidents pour la santé des consommateurs.  Son péché mignon par contre, ( les fraises Flagada), avait été interdit en France par la loi Haropi en 2011 parce que les colorants utilisés étaient trop néfastes pour l’environnement.
Depuis il se fournissait en Belgique, en Angleterre ou même parfois en Allemagne, lors de ses déplacements professionnels. Là-bas la lutte contre le réchauffement de la planète avait un tout autre sens, on avait développé des moyens de locomotion électriques, chaque logement bénéficiait de panneaux solaires, de récupérateurs d’eaux de pluie et d’eaux grises, les transports en commun étaient gratuits, à part les avions qui étaient surtaxés.
En France, on avait  «  incité » les gens à mieux s’équiper pour avoir un logement «  vert », on les avait pénalisés s’ils ne le faisaient pas ou s’ils n’avaient pas les moyens d’obtenir un passe droit. Mais les bus roulaient encore au diesel, les véhicules électriques restaient un luxe et on avait sorti toute une série de lois interdisant tout et rien sous prétexte de protéger les consommateurs. (interdiction de manger de la viande le soir, interdiction de se doucher tous les jours…)
Le colorant alimentaire E128 présent dans les fraises Flagada et dénoncé par la commission Européenne en faisait malheureusement partie. Plus question d’inciter à une consommation raisonnable,  dans ce cas comme dans tant d’autres depuis 2010, l’état avait décidé de protéger les consommateurs  contre eux-mêmes :  de force.
Bien qu’écologiquement discutables, ces lois avaient eu un fort impact économique. La création des diverses brigades de surveillance, des bureaux pour récolter toutes les dénonciations et des milices  de « contrôle des menus » avait généré beaucoup d’emplois.
Le marché noir avait repris, et avec suffisamment de moyens, on pouvait se procurer tous les produits désormais interdits. Aucun des gouvernements Européens voisins n’avait rien dit, trop contents de voir arriver tous ces petits français dans leurs supermarchés. Même l’immobilier avait été relancé, enfin surtout pour les régions frontalières car chacun voulait se rapprocher un peu des commerces «  libres ».
Du coup la douane  avait été renforcée et par un nouveau décret, on avait interdit au bon français de sortir du territoire plus d’une fois par mois. Là encore, tout était une question de moyens, de relations et de bons filons pour contourner cette interdiction. Besson avait failli démissionner car plus personne ne voulait s’installer en France, mais il avait rebondi, et empêchait maintenant les gens de quitter le pays.
Les deux individus sortirent un sachet qu’il reconnut immédiatement, c’était sa création pour dissimuler le contenu réel : il avait recyclé un paquet de bonbons à l’Eucalyptus dans lequel il planquait ses fraises Flagada pour aller au cinéma. Généralement, au fond de la salle sombre, il pouvait déguster ses friandises tranquillement sans être remarqué, jusqu’à hier soir où il avait bêtement laissé son paquet sur le siège d’à côté pour satisfaire un besoin naturel.
Faisant mine de repousser une feuille morte, il glissa ses cent euros sous le cendrier de la table voisine, les hommes se levèrent presque immédiatement, déposant en partant le paquet tant attendu sur sa table. 
Il dut se contenir pour ne pas ouvrir le sachet tout de suite.  Jetant  un regard circulaire sur la place à la recherche d’une éventuelle brigade de contrôle, il  s’empara du sachet, paya son café et repris sa route soulagé. Tout s’était bien passé, les brigands avaient tenu parole et ne l’avaient pas dénoncé, il pouvait reprendre sa vie.
 Le colorant E128 ne le tuerait surement pas, l’absurdité des lois françaises probablement.


Ce texte est une participation au jeu d’écriture initié par  Lizly et Madame Kévin , il s'agissait d'écrire un texte à partir de l'image ci-dessus. Il sera également publié sur un blog que vous pouvez visiter ici regroupant tous les textes inspirés par cette image. ,

9 commentaires:

  1. tu délires complet, toi !
    Une simple photo de pied de table de bistrot, et on se retrouve avec une intrigue prenante à n'en plus décoller mes yeux de l'écran !
    Merci, et m*** pour le concours !

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  2. Merci Flo :-)
    Ce n'est pas un concours, juste un jeu pour le plaisir d'écrire...

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  3. Bravo Béa pour ce nouveau style très "niccifrenchien", c'est très réussi!!

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  4. Merci Suvi, c'est un beau compliment :-)

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  5. Bravo ma belle, tu m'épateras toujours...

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  6. merci, j'aime décidément vraiment votre style!

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  7. @Goglue52 : Merci ma Glouglou et gros " becs"

    @ Christelle : ah ben zut parce que justement ceci n'est pas mon style habituel lol !

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  8. Quelle imagination ! Tu arrives à inventer des histoires incroyables à partir des photos. Merci pour ta participation, originale et talentueuse. Ton texte est en ligne sur "Jeux d'écritures" et il sera en lien dans mon billet récapitulatif du 2 février.

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